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Son visage était rond, rougeot, joufflu. Elle avait les cheveux droits aux épaules, une coupe au carré, une frange lui barrait le front. Elle était souriante et dynamique. Ses questions étaient claires et articulées, son débit, rapide.

Mon souvenir d’elle est factuel. Elle est là, devant moi.

Pourquoi est-ce si clair?

Et qui était ce jeune homme de l’autre côté de son bureau de directrice?

Je venais d’avoir 19 ans, sans trop d’expérience, décrocheur et sans formation. Je me retrouvais en entrevue pour un travail d’éducateur en garderie. J’avais sûrement encore cette maladresse d’être de l’adolescent, ses hésitations, son insécurité.

Je me souviens pourtant de m’être abandonné, d’avoir baissé la garde. Et Josette m’a vu. L’échange était vif et fluide, j’étais cartésien, elle l’appréciait et ça me servait, mais elle voyait aussi le cœur. Elle voyait l’humour et la sensibilité de ma famille, elle voyait les liens que j’avais su créer, jeune, avec des enfants, elle entendait ma voix, elle a cru en mon sens des responsabilités. Elle a dû comprendre que je me faisais seul. Elle a dû comprendre que je voulais prendre soin de moi, en prenant soin des enfants.

Il y a des personnes sur notre chemin qui voient le meilleur en nous. Des patrons, des collègues, des profs, des amis, des amours. Elles ont un regard qui transperce le nôtre, elles nous révèlent à nous-mêmes. Et c’est peut-être pour ça que notre souvenir de ces personnes est si clair, si tangible. Elles restent en nous.

Josette a vu en moi l’éducateur que j’étais déjà.

Ce jour-là, elle m’a tout donné.

***

En novembre 2023, au dernier automne avant ma retraite, j’ai googlé le nom de Josette que je n’avais pas revue depuis plus de 30 ans. Je suis tombé sur son avis de décès. Elle était décédée deux semaines plus tôt. Une grande tristesse m’a envahi. J’étais à l’école sur l’heure du dîner, les enfants sont entrés, ils l’ont senti.

On parlait de la mort de temps en temps dans la classe. Forcément. Un enfant arrivait le matin endeuillé par la mort d’un chat ou d’un chien, parfois d’une poule ou d’un hamster. Ou bien une visite au salon funéraire rebondissait à la causerie du lundi. Le sujet s’imposait de temps à autre, tout le monde avait soudainement quelque chose à dire. Je prenais un moment pour les écouter. Ça tournait souvent autour des animaux décédés. On pouvait avoir droit à une description très graphique – faite dans la plus parfaite bonne humeur – d’une carcasse bien écrasée ou, parfois, une émotion de tristesse pure comme un diamant traversait un regard à l’évocation de la mort du chien de la famille. Ça se faisait sans pudeur, assez simplement. Puis on retournait à nos affaires.

Ce midi-là, j’ai eu quelques regards intrigués, une entrée un peu plus silencieuse, mais je n’ai pas eu de questions. Le naturel est revenu vite, ils se sont affairés rapidement et joyeusement pour le repos de l’après-midi. Je n’ai parlé de rien, ce n’était pas nécessaire. J’ai fermé les lumières, le silence est revenu. Je les ai regardés se détendre sur leur petit matelas, les jambes en l’air ou le corps bien étendu. Je me suis souvenu de mes premières journées à la garderie, du moment de la sieste, de tous ces petits corps sur le plancher, abandonnés au sommeil.

J’ai pensé très fort à Josette.

Ce texte est pour elle.

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